Dénonciation de Mr de Boisboissel

par le Comité de surveillance de Runan

Le 20 floréal an II, 9 mai 1794, Archives des C. du Nord

Tandis que des hommes perfides, couverts du manteau du patriotisme, cherchent à détruire la liberté si chère à nos cœurs tandis que la horde impure des tyrans de l'Europe ne pouvant nous vaincre par la force des armes emploient les astuces les plus scélérates pour nous désunir, il est du devoir des républicains qui idolâtrent leur patrie de démasquer des traîtres, de dévoiler des crimes pour lesquels on n'a paru jusqu'ici avoir que trop d'indulgence.

Depuis longtemps nous voyions avec indignation qu'un ex noble, ennemi déclaré du peuple, trouvait encore un azyle sous l'égide même des autorités constituées et jouissait d'une liberté qui depuis longtemps devait lui être ravie. Nous avons vu qu'une femme astucieuse était parvenue à tromper la religion du département des côtes du nord qui suspendit l'arrestation prononcée contre Boisboissel et Julie L'Aréant par le directoire du District de Pontrieux. Aujourd'huy notre âme pénétrée d'une juste indignation contre les conspirateurs, arrache le voile qui couvrait tant d'actions inciviques et contre révolutionnaires. Nous ne vous parlerons que de faits qui nous touchent personnellement, nous mettrons au grand jour des atrocités tendantes à la dissolution de la république et au rétablissement de la royauté.

Ange Gabriel Marie Boisboissel et Julie l'Aréant, sa femme, quittèrent Paris en quatre-vingt onze : la prise de la Bastille, le boulevard de l'aristocratie, les avait effrayés. Les progrès rapides de la liberté sur le despotisme les déterminèrent enfin à quitter un séjour qu'ils n'avaient choisi que pour se livrer aux plus infâmes débauches. Semblables à ces oiseaux nocturnes qui se retirent honteusement dans leurs sombres repaires dès que la brillante aurore vient réveiller la nature assoupie, de même Boisboissel et sa femme ne purent soutenir la lumière vive et soudaine que la révolution jetta parmi les français depuis tant de siècles accoutumés à un esclavage honteux. Ils vinrent se fixer dans une terre située en la commune de Ploëzal. Tous les aristocrates du pays qui depuis sont émigrés ou reclus étaient leurs intimes. Des conciliabules se tenaient chez eux. Vous pouvez croire, citoyens, que les intérêts de la patrie n'étaient pas le mobile de ces assemblées. On y lisait avec enthousiasme des passages de la feuille impure de Mallet du Pan, à laquelle Tuomellin et Boisboissel étaient abonnés. On pouvait même encore trouver dans la maison que le dernier habitait cy-devant, plusieurs numéros de ce journal qu'il n'a abandonné que lorsque le rédacteur a été obligé de quitter une terre depuis trop longtemps souillée par sa présence.

Mais des trames plus criminelles s'ourdissaient. Nous vîmes paraître dans nos contrées, au commencement de quatre vingt douze, le prêtre le Breton. Ce vampire sinistre, vomi par le département du finisterre, ce scélérat rusé dont la popularité affectée pensa allumer une guerre dont nous n'avons vu que les trop funestes effets dans la Vendée. Boisboissel sentit combien l'amitié d'un pareil homme devait être utile à sa cause. Les visites furent prodiguées de part et d'autre. Il recéla même chez lui pendant quelques temps un Le Coz de Pontrieux, postulant fanatique, que le Breton lui avait spécialement recommandé. Naturellement ennemi de la religion catholique qu'il méprisait auparavant, non par les lumières de la raison, mais par orgueil et par une certaine brutalité commune à toute la cy-devant noblesse, il en devint en apparence le plus zélé sectateur. Tous les dimanches et fêtes, il assistait modestement aux messes de le Breton. Le peuple qui souvent ne considère les choses que très superficiellement, se trouva fort édifié de la conversion soudaine de Boisboissel, il y crut réellement, et dès lors il le jugea digne de figurer parmi les Saints. Il ne savait pas quel était le mobile de cet homme pervers, à qui la religion servait d'enclume pour forger des fers à un peuple qui hélas n'avait que trop de penchant au fanatisme.

C'est avec regret, Citoyens, que nous nous trouvons aujourd'huy obligés de vous faire connaître à quelles sortes de messes assistait Boisboissel. Intérieurement nous regardons les messes et autres singeries mystérieuses et symboliques, autrefois consacrées par la catholicité, comme autant d'inepties, autant de puérilités, mais comme à cette époque il fallait encore flatter même les erreurs du peuple, la messe était en quelque sorte le véritable thermomètre par lequel on pouvait connaître le degré de chaleur du patriotisme de chacun.

A l'issue de ces messes alors plus onctueuses que celles des prêtres sermentés, le maire de Runan invitait les habitants de sa commune à accélérer le payement des contributions, et Boisboissel exhortait hautement le peuple à en différer l'acquit, sans quoi, disait-il, l'envahissement de la France par les troupes prussiennes et allemandes aurait nécessité un second payement. Non content de vouloir faire au peuple lever l'étendart de la rébellion contre les lois, il fit défense expresse à ses fermiers de payer aucune contribution, les menaçant de ne leur en faire aucune déduction.

Quoique dans les temps de crise l'aristocratie fût encore dominante, néanmoins Boisboissel et sa femme gardèrent quelques ménagements mais les progrès des armées ennemies qui s'étaient emparées de Longwy et de Verdun, les rendit plus insolents ils ne rougirent pas d'exposer au haut d'un arbre de hêtre, non loin de leur demeure, la figure d'un garde national sous les pieds d'un soldat allemand qui semblait devoir l'assommer à coup de sabre.

Quelques temps après survint la malheureuse affaire qui eut lieu le 10 septembre 1792, à cause de la levée de 300.000 hommes. Cette révolte avait des ramifications fort vastes. Les prêtres, contre lesquels on n'avait pas encore pris des mesures assez vigoureuses, devaient soulever le peuple crédule en lui prêchant qu'on voulait lui ravir la religion de ses pères et le plonger dans l'athéisme, et les nobles disséminés dans toutes les parties de la France devaient se mettre à la tête des mécontents et diriger les coups qu'on devait porter à la liberté.

Les rebelles députèrent à Boisboissel pour l'inviter à accepter le commandement, ce qu'il refusa. Mais il leur promit sur sa foi de gentilhomme de leur donner une barrique de vin s'ils venaient à bout de s'emparer de Pontrieux.

L'être suprême qui veille sans cesse au maintien de la souveraineté du peuple, déjoua cette conjuration éphémère. Le courage des habitants de Pontrieux dissipa cet attroupement qui devait jeter les semences de la guerre civile dans nos contrées Si malheureusement le projet avait réussi, le nom de Côtes du nord fût devenu comme celui de Vendée, de Lyon, de Toulon, un objet d'horreur aux patriotes.

A cette triste époque, la France était déchirée de toutes parts, les troupes ennemies et les émigrés remplissaient les plaines de la Champagne et de la Lorraine, les ennemis de l'intérieur levaient une tête altière, et déchirant de leurs mains parricides les entrailles de leur patrie, semblaient se disputer les membres épars. La Convention nationale encore au berceau, et sans cesse entravée par les menées séditieuses de quelques-uns de ses membres gangrenés, voyait la liberté courir les plus grands dangers sans pouvoir y remédier. Enfin, le peuple de Paris, obligé de quitter en partie ses foyers pour aller repousser loin du sol français les esclaves de la Prusse et de l'Allemagne, avait signalé sa justice les 2 et 3 septembre. L'écho de cet acte de vigueur retentit jusque dans nos contrées: les aristocrates en furent stupéfaits, les prêtres réfractaires, principaux auteurs de tous nos désastres, furent dès ce moment proscrits de notre territoire. Le Breton fut obligé de passer en Angleterre et de se jeter entre les bras de Pitt qui devait lui accorder l'accueil favorable qu'il prodiguait à tous les traîtres. Boisboissel sentit vivement cette perte. Cependant il dissimula quelque temps et pleura en secret la perte de son ami. Dès cet instant on ne le vit plus paraître en public. Isolé du reste des hommes, il rêvait en secret la contre révolution, attendant, disait-il, des moments plus favorables pour sortir de sa léthargie.

Néanmoins, quoiqu'il fit tous ses efforts pour modérer ce feu contre révolutionnaire qui le dévorait, il ne pouvait toutefois réprimer ses transports. Entiché de Sa noblesse qu'il prétendait être des plus anciennes de la Bretagne, il témoigna toujours le plus profond mépris pour les autorités constituées. Des officiers municipaux de Ploëzal attesteront l'avoir vu déchirer avec fureur des lettres que l'administration du district de Pontrieux lui envoyait pour le forcer à piquer ses armes, spectacle destructeur de l'égalité, et qui se trouvaient répandues avec profusion au dessus de presque toutes les portes de sa demeure.

Enfin, Citoyens, la république était pour lui un nom odieux et qui ne sortait jamais de sa bouche qu'avec des blasphèmes. Nous avons vu des quittances signées par lui et datées des derniers jours de décembre 1793 et de janvier 1794, comme s'il eût ignoré qu'à cette époque la république existait.

Qu'ils périssent les traîtres, qu'ils sachent enfin, ces vils suppôts de la tyrannie, que cette république qu'ils abhorrent tant n'est plus une chimère !

Telle est, Citoyens, la faible esquisse que nous pouvons vous présenter de la conduite d'un homme qui depuis le commencement de la révolution, s'est toujours montré son plus grand ennemi, d'un homme qui en secret a suivi le cours de toutes les factions qui tour à tour ont assailli la liberté, d'un homme, dis-je, dont la vie morale et politique n'a été qu'un tissu d'actions inciviques et criminelles. Nous remplissons aujourd'huy un devoir sacré, un devoir cher à nos coeurs. Si notre attestation et celle de la municipalité ne suffisent pas, nous trouverons une foule de témoins pour déposer les faits que nous avons articulés cy-dessus. Il faut enfin que la justice soit à l'ordre du jour. Toute indulgence à l'égard des conspirateurs serait coupable. Ce serait prêter à nos ennemis des armes pour nous combattre... Mais non, le peuple français est debout ; il saura maintenir des droits qu'il n'a conquis qu'après cinq ans d'orages et de dangers.

F.Offret, président

L. Le Roux, maire

Pasquiou, secrétaire

Jean Le Lagadec, Officier municipal

F. Nicolas, agent national

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