Le débarquement de Quiberon

 

Le débarquement de Quiberon

Louis XVI et Marie-Antoinette ont été guillotinés, le petit Louis XVII est mort au temple. Le futur Charles X, comte d'Artois, est à Londres et Louis XVIII en Italie. L'idée est lancée de faire débarquer un corps expéditionnaire français en Bretagne, pour établir une tête de pont et rallier les Chouans estimés à 60 000 (en fait ils étaient 15 000). Par la suite la Bretagne puis l'Ouest se rallieraient et le comte d'Artois marcherait sur Paris. L'idée était bonne, mais ne nécessitait aucune faute politique ou militaire, ce qui ne fut malheureusement pas le cas...

Dès le départ, 2 chefs furent nommés, aux fonctions mal définies ce qui provoqua l'échec des opérations: le comte Joseph de Puisaye, général en chef de l'expédition, véritable chef pour les Anglais, et le général d'Hervilly, nommé par le comte d'Artois, commandant des troupes.

33 navires anglais dont 15 vaisseaux de ligne transportent 3700 Français émigrés. Certains appartiennent à des régiments professionnels et de grande valeur comme Rohan: Marc-Antoine-Bertrand-Marie de Boisboissel, qui avait 18 ans était cadet au sein de ce régiment, dans la division de Sombreuil. D'autres unités ont été formées en Angleterre comme le régiment d'Hector (ou Royal Marine), à majorité d'officiers de marine et d'équipages de l'Ancien Régime, tous excellents marins. Jean-Marie-Michel-Isaac de Boisboissel 23 ans, officier de la marine royale, en fait partie dans la compagnie du comte de Carné-Trécesson.

Les deux frères arborent la cocarde noire en signe de deuil de l'exécution de Louis XVI.

Le 25 juin, les émigrés mouillent à Carnac. Les chouans de Tinténiac et Bois-Berthelot viennent immédiatement demander des ordres. Mais l'incompétent et orgueilleux d'Hervilly refuse catégoriquement de débarquer pendant deux jours, ce que les chouans et les émigrés ne comprennent pas. Ainsi l'effet de surprise dans l'attaque sera nul, Hoche prenant ce répit pour demander des renforts (il n'y avait que 3000 bleus dans la région). Pendant une semaine, d'Hervilly aura pour unique objectif de mettre au pas les chouans qu'il considère comme des sauvages, en leur apprenant le maniement réglementaire des armes et les subtilités du pas cadencé, ce qui provoque la colère des chouans et de certains officiers émigrés comme Vauban.

Hoche en profite pour occuper Auray. Le 3 juillet les émigrés prennent le fort de Penthièvre, et la garnison bleue est incorporée aux troupes royalistes, ce qui fut une faute grave car ces soldats rejoindront par la suite leurs camarades après avoir tué leurs nouveaux officiers et serviront de guides à Hoche. Le 7 juillet, par une incompréhensible décision, les émigrés évacuent Carnac et se réfugient dans le fort de Penthièvre, couverts par le valeureux Cadoudal.

L'attaque générale est prévue le 16 juillet sur Saint Barbe, avec le renfort des chefs chouans Lantivy (3000 hommes), Tinténiac et Cadoudal (3500) qui doivent attaquer de dos. Or Sainte Barbe est bien défendue, les corps à corps sont féroces et 1500 émigrés se font tués (d'Hervilly y est mortellement blessé). Jean-Marie-Michel-Isaac de Boisboissel fut tué ce jour là dans la compagnie du comte de Carné-Trécesson (régiment d'Hector, ou Royal Marine) qui fut décimée en couvrant la retraite des éléments débarqués au nord de la presqu'île et refoulés par Hoche.

Pendant ce temps, Sombreuil attendait malgré son insistance un ordre de Puisaye pour intervenir avec ses régiments: l'ordre ne vint pas.

Entre temps, ce même jour, Cadoudal fut mystérieusement détourné sur Saint Brieuc par un message de l'agence royaliste de Paris (probablement infiltrée de l'intérieur par des agents doubles), lui indiquant un débarquement anglais à accueillir là-bas, et Tinténiac fut honteusement assassiné par surprise à Coëtlogon, tombant dans un piège tendu par la marquise de Grégo, Louise du Bot, maîtresse successivement de Boishardy puis de Hoche selon ses intérêts. Elle livrera par la suite Charette à Hoche en 1796. Son corps sera déterré en 1845, et exorcisé à feu par un prêtre assisté de quelques fils de chouans...

Dans la nuit du 20 juillet, Hoche attaque la presqu'île de Quiberon et le fort de Penthièvre est pris par surprise grâce aux informations des transfuges républicains. La garnison se bat désespérément et avec courage, mais est massacrée. Les 2 jours suivants, les républicains pourchassent sur la presqu'île les émigrés restants dirigés par Sombreuil (Puisaye ayant décidé courageusement de se réfugier sur le vaisseau amiral anglais). Tous les prisonniers (750) seront fusillés par la suite, malgré la promesse faite par Hoche de considérer la reddition des émigrés comme une capitulation, et de les considérer comme prisonniers de guerre.

Attaque de Quiberon par les troupes républicaines - d'après Swebach et Desfontaines


Après l'échec de l'opération, voyant également que le comte d'Artois ne débarquait pas pour rejoindre Charette, (il débarqua à l'île d'Yeu et, indécis, se rembarqua pour l'Angleterre !), les chouans et vendéens perdirent toute confiance en leurs princes, et continuèrent leur combat seuls.

"Ainsi était rendu inutile, une fois de plus, par une sorte de conjuration des forces obscures dressées contre elle, le magnifique esprit de sacrifice de cette noblesse française, si inférieure dans l'action politique, mais à qui les champs de bataille restituaient toutes les anciennes vertus." (Charles le Goffic, La chouannerie Blancs contre Bleus)

(La majeure partie de ce texte est extraite de la conférence de Hubert de Boisboissel, sur l'expédition des émigrés à Quiberon juin, juillet 1795)


Témoignage d'un rescapé sur la mort de Jean-Marie-Michel de Boisboissel

Le vicomte de la Ville Gourio, qui fut fait prisonnier, fut jugé et condamné à Auray, réussit pourtant à s'évader et à écrire ses mémoires (Ma sortie de Quiberon, Imprimerie Saint Brieuc, chez Prudhomme 1815)

Il y raconte sa journée du 16 juillet 1795, où il arrive avec la seconde escadre anglaise aux ordres de Sombreuil. La nuit même, les émigrés font une sortie sur les positions républicaines et sont repoussés avec de grosses pertes. Il raconte la mort de Jean-Marie-Michel-Isaac de Boisboissel :

"Le lendemain, nous débarquâmes et le régiment de Rohan dont je faisais partie prit ses quartiers au village de Kernavest à la distance d'environ une lieu du fort de Penthièvre. (...)

Mr de Sombreuil (...) nous ordonna d'aller occuper le port d'Orange (actuellement Saint Pierre Quiberon) et de défendre à toute extrémité la batterie que M. de Puisaye lui avait dit être en bon état. (...) Nous n'y trouvâmes qu'une mauvaise pièce en fer, sans affût ni munitions...

Ce fut en cet endroit que nous rejoignit un de nos camarades de Bois-Bossel (sic). Il faisoit partie d'un détachement de vingt hommes que, la veille au soir, le Corps avoit fournit à la garde du Fort. De ces vingt hommes, dix-huit s'étoient fait tuer, et de Bois-Bossel, blessé à mort à la tête près d'une des tempes, s'étoit retiré avec un soldat qui l'avoit emporté du combat. Sa blessure l'avoit rendu fou. Il expira peu de moments après. Ce triste spectacle n'étoit que le prélude de nos malheurs."


Notons enfin que le nom Boisboissel ne figure pas sur le monument des émigrés fusillés à Auray. Jean-Marie-Michel-Isaac fut en effet tué au combat et pour cette raison n'apparait pas dans la liste des infortunés fusillés.

Quant à Marc-Antoine-Bertrand-Marie de Boisboissel, 18 ans et cadet au régiment de Rohan, Division de Sombreuil, il semble qu'il survécut car nous le retrouvons plusieurs années après en Champagne-Ardenne, mais nous n'avons aucun récit de la façon dont il réussit à quitter cette nasse et éviter la capture puis la fusillade.

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